jeudi 3 janvier 2008

- Ibn Khaldoun, la Méditerranée au XIVème siècle: essor et déclin des empires





Le 19 mars 2006, le monde arabo-musulman a commémoré le VIème centenaire de la mort d'Ibn Khaldoun.

Grand évènement à Séville:

En présence de représentants d'Etats et de gouvernements de haut niveau : Son Altesse Royale le Prince marocain Moulay Rachid, le chef de l'Etat égyptien Hosni Moubarak, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika , le chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero et autres, le Roi Juan Carlos d'Espagne et la Reine Sofia ont inauguré le 19 mai 2006 à Séville (Andalousie), la grande exposition sur la vie et l'œuvre du penseur arabe Ibn Khaldoun.

La ville andalouse de Séville abrite au Palais du Real Alcazar , lieu où Ibn Khaldoun a tenu une entrevue avec le Roi de Séville Pierre Ier, du 19 mai 2006 jusqu’au 30 septembre 2006, une grande exposition sur la vie et l’oeuvre d'Ibn Khaldoun et sa contribution au rapprochement entre les mondes arabo-musulman et européen.

Cette exposition sera sous le signe "Ibn Khaldoun, la Méditerranée au XIVème siècle : Essor et déclin des empires". Ses organisateurs veulent mettre en avant, à travers une centaine de pièces venant de plusieurs pays de la Méditerranée, le rôle historique joué par Séville et l’Andalousie en général, comme lieu de rencontres symboliques entre le passé, le présent et le futur.

Donc, qui est Ibn Khaldoun ?

A travers ses écrits, ses réflexions, ses voyages, ses responsabilités d'Etat et ses emprisonnements, Ibn Khaldoun est un pluridisciplinaire et une encyclopédie du XIVème siècle :
Historien, philosophe, précurseur de la sociologie, juge, enseignant, poète, aussi bien qu’homme politique.

Identification :

Ibn Khaldoun, était un maghrébin, né à Tunis le 27 mai 1332, mort au Caire le 19 mars 1406. Son nom complet Abu Zayd Abd al Rahman ibn Mohammed Al Hadrami ibn Khaldoun . Il est issu d’une famille de lettrés et hauts fonctionnaires, originaire du Yémen et précédemment installée en Andalousie. Il reçoit une éducation soignée et suivie.

A la Grande Mosquée al Zaytuna Ibn Khaldoun a étudié des textes sacrés relatifs aux sciences coraniques, linguistiques, le hadith (recueil des actes et des paroles du prophète Mahomet) et le fiqh (le droit musulman.

Il a étudié les œuvres d’Avicenne (980-1037, connu dans le monde musulman sous le nom d'Ibn Sina, philosophe et médecin persan, l’un des plus grands noms de la philosophie islamique et l’avicennisme se situe au carrefour de la pensée orientale et de la pensée occidentale) et d’Averroès (1126-1198, connu sous le nom arabe d'Ibn Ruchd, philosophe médiéval islamique, médecin, juriste malékite et théologien acharite).

Il s’est rendu à Fès pour parachever sa formation intellectuelle et sera le disciple d’Ibn Abdeslam Al Fassi.
En 1354, il se marie avec une fille de famille influente.

Son époque :

Il a vécu au XIVème siècle qui fut, sans doute, une mauvaise époque pour l’humanité selon l’expression de Jerónimo Páez López.

Indicateurs historiques:

Le nouveau monde (ou l’Amérique) n’a pas été encore découvert.
En Europe féodal, en plus de l’épidémie de la peste noire et des dépressions économiques, cent ans de guerre ont opposé les deux grandes puissances européennes de la fin du Moyen Âge, l'Angleterre et la France.

En Orient, le despote Tamerlan, cruel mongol, s’est taillé un empire s’étendant de l’Inde à la mer Méditerranée. Il a battu Bajazet Ier, sultan Ottman à Angora.
Le Maghreb est déchiré par les rivalités dynastiques.

Quant à la religion : Le seul principe est Dieu a fait don de la création aux hommes pour que les forts dominent les faibles.

Sur le plan intellectuel : Plusieurs penseurs précurseurs et réformateurs européens (Guillaume d'Ockham, John Wycliff , Jean Hus) ont été condamnés par l'Église parce qu’ils ont refusé l'Église-Institution et ont proposé une vision radicalement nouvelle de l'Église.

Ibn Khaldoun était le contemporain d’ Ibn Khatib (1313-1374), philosophe d'une grande renommée avec qui il a noué des relations privilégiées, de Jean Froissard (v. 1337-1400), chroniqueur français, Pétrarque (1304-1374), poète et humaniste italien, Boccace (1313-1375), poète et humaniste italien, Bertrand Du Guesclin (1320-1380), connétable de France, une des grandes figures de la guerre de Cent Ans.

Indéniablement, ce siècle est à inscrire sur le tableau noir de l’histoire. C'était sans doute un siècle de décadence totale à l'échelon mondial, que ce soit en Occident qu’en Orient.

Sa marche Historique : A ce moment là, Ibn Khaldoun vivait en Afrique du Nord, grand carrefour du commerce médiéval.
On peut le situer à deux niveaux, l’un complète l’autre.

Le niveau professionnel :Il a assumé de hautes fonctions d’Etat, politiques, religieuses et intellectuelles (secrétaire à Tunis, secrétaire principal à Fès, cadi Malékite, Premier Ministre à Bougie, prédicateur à la grande mosquée d'El Qaçaba, professeur à Tunis. Grand Cadi Malékite au Caire). Signalons qu’il a été toujours l’objet de l’hostilité de certains courtisans des Emirs. Ce qui lui a occasionné souvent son jet en prison.

Le niveau de la recherche scientifique : Il a été un précurseur médiéval de l'histoire des civilisations. Il fut l’un des plus grands penseurs arabes, d'une grande importance culturelle, politique et économique.

On regrette qu'il soit pourtant méconnu par beaucoup de personnes. Voire même on doit se rappeler qu’il y a peu temps qu’il a été rejeté par certains écrivains et publicistes arabes et en priorité Taha Hussein (1889-1973), le grand littéraire égyptien. En 1917, Taha Hussein a décroché de la Sorbonne son deuxième doctorat grâce à sa thèse "Etude Analytique et critique de la philosophie sociale d'Ibn Khaldoun" où il l'a traité de menteur, d’opportuniste, de prétentieux et surtout de "chu’ûbi berbère".

Par contre, au même moment, tous ses commentateurs et en particulier les européens disent que sa méthode d'analyse des phénomènes sociaux et politiques est en avance de plusieurs siècles sur la pensée européenne à la fin du Moyen Âge.

C’est ainsi que, dans ces récits de l’histoire des arabes, P K Hitti a affirmé qu’ "Ibn Khaldoun a été le plus grand philosophe et historien que l’Islam ait jamais produit et l’un des plus grands de tous les temps".

De même Georges Marçais a déclaré que "l’œuvre d’Ibn Khaldoun est un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu’ait produit l’esprit humain".

Aussi, dans son œuvre maîtresse, une monumentale Étude de l’histoire (12 volumes, 1934-1961), Toynbee, Arnold Joseph (1889-1975), historien britannique, créateur du concept de révolution industrielle, a souligné qu’Ibn Khaldoun a "conçu et formulé une philosophie de l'Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays".

Voilà encore Yves Lacoste (1929- ), géographe français, fondateur de la revue Hérodote (1976), spécialiste du sous-développement et du tiers-monde, a composé l’ouvrage "Ibn Khaldoun, naissance de l’histoire du tiers-monde" et a affirmé que " L’œuvre d’Ibn Khaldoun marque la naissance de l’Histoire en tant que sience…".

Tous ces connaisseurs en matière d’histoire se sont mis d’accord pour attester que notre homme est à la fois philosophe et historien. Et pourquoi ne pas affirmer que c’est le seul et unique fondateur de la philosophie de l’Histoire.

La Muqadimma se définit par Ibn Khaldoun et Ibn Khaldoun se définit par la Muqadimma :

Après son décès, toute son oeuvre est tombée dans l'oubli. Et ce n'est qu’en 1806 que Sylvestre de Sassi publia quelques extraits de la Muqaddimma suscitant ainsi l’intérêt unanime des Occidentaux. A ce moment là, le monde arabe a commencé à comprendre l’intérêt et l’originalité de l’œuvre khaldounienne.

D'autre part, la Muqaddima a été traduit dans son intégralité sous le nom de Prolégomènes en français et commentés par William Mac Guckin (1801-1878), Baron de Slane, membre de l’Institut.

Dans la Muqadimma, introduction en trois volumes de son Kitab al-'Ibar (Histoire des Arabes, des Persans et des Berbères), Ibn Khaldoun écrit: "J'ai suivi un plan original pour écrire l'Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un système tout à fait à moi (...) en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et à l'établissement des villes".

N’oublions pas qu’il s'est établi de 1375 à 1378 dans une forteresse appartenant à son protecteur Wanzammar, la Qalaa d'Ibn Salama située sur un piton à proximité de Taghazout aux environs de Frenda où il composait la Muqadimma et une partie de l'Histoire des Berbères, c’est un travail qui a duré quatre années successives et qui até achevé à Tunis.

Il a la méthode d’Aristote: avant de théoriser, il critique ses précurseurs. C’est un homme rationnel qui rejette toute explication théologique conservatrice et traditionnelle. Il a constaté que la majorité des anciens historiens n’ont raconté que des choses qui n’ont rien à voir avec l’histoire en tant que science. Un travail qui n’est pas rationnel, automatiquement n’est pas un travail scientifique.

Dans la Muqadimma (Prolégomènes), introduction méthodologique à l’histoire, Ibn Khaldoun élabore une philosophie de l’histoire et une théorie de la société dont on ne trouve aucun équivalent dans l’Antiquité ou le Moyen Âge.

Selon lui, l’histoire, qui ne saurait être envisagée comme une suite d’événements, doit plutôt être tenue pour une invitation à la méditation. Cette réflexion permet de mettre en relief la cohérence des faits historiques et non pas seulement leur succession.

Ibn Khaldoun pense que les sociétés doivent leur existence au pouvoir de la cohésion sociale, la assabiyya (Patriotisme, Esprit de parti), pouvoir lui-même soutenu par la force unificatrice de la religion. Pour lui, les évolutions sociales, de même que l’émergence et la chute des sociétés, sont régies par des lois qui échappent aux hommes.

Il a introduit la notion d'histoire cyclique fondée sur des facteurs séculiers engendrés par l'affaiblissement naturel des générations sédentarisées, héritières des conquérants nomades, mais que la richesse et le mode de vie urbain entraînent dans un cycle inexorable de décadence.

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